20 février 2017, l’ONU déclare l’état de famine au Sud-Soudan, jeune Etat indépendant africain qui connait une guerre civile faisant des milliers de victimes. Paradoxalement, c’est dans ce pays ayant le plus cédé ses terres agricoles à des acteurs étrangers que cette famine a eu lieu. La cession non régulée des terres est un des nouveaux fléaux de l’agriculture africaine. En effet, la flambée des cours des matières premières qu’a connu le monde en 2008 et ayant largement contribué à la hausse des prix des matières premières alimentaires, a poussé un bon nombre de pays désireux de garantir leur sécurité alimentaire mais qui en même temps sont pauvrement dotés en terres agricoles à se lancer dans une ruée vers l’achat de terres à cultiver hors de leurs frontières. Avec ses 37% de terres arables mondiales dont elle n’exploite que le 1/5ème, l’Afrique est le territoire ayant attiré le plus les convoitises des investisseurs étrangers qu’ils soient d’origine étatiques tels que les pays du golf ou de la Chine ou provenant du secteur privé telle que la multinationale énergétique américaine (AgriSol Energy). Ces acteurs sont désireux de posséder des terres afin d’y produire des cultures alimentaires et non alimentaires principalement destinées à être exportées vers les marchés domestiques des pays d’origine. Si ces investissements peuvent contribuer au développement du continent en créant des emplois et en attirant des infrastructures, l’accaparement des terres africaines par des acteurs étrangers fragilise encore plus le continent sur le plan alimentaire. En effet, malgré son grand potentiel agricole, l’Afrique n’a pas encore assuré sa propre sécurité alimentaire. Devant un tel état de fait, il serait judicieux de se demander quels sont les enjeux de cette nouvelle course vers les terres agricoles africaines et comment celle-ci peut contribuer au développement de l’Afrique au lieu de d’apporter sur le continent des risques alimentaires, sociétaux et environnementaux.
Un continent riche en terres arables
Selon les statistiques de la base de données LandMatrix, l’Afrique concentre 5 des 10 pays ayant le plus été la cible d’acquisitions de terres agricoles de la part d’acteurs étrangers ; la mainmise des terres agricoles africaines s’explique par plusieurs facteurs : Tout d’abord, l’Afrique est considérée, à cause de ses nombreuses terres arables non exploitées, comme la dernière zone mondiale où il est encore possible d’acquérir de larges surfaces agricoles à un faible coût. Ensuite, plusieurs pays se trouvent confrontés au défi de nourrir leurs populations locales, dont les besoins sont grandissants, avec des dotations naturelles insuffisantes à l’image de la Chine qui se doit de nourrir 20% de la population mondiale alors qu’elle ne dispose que de 10% des terres arables mondiales. Finalement, la hausse des prix des matières premières a motivé plusieurs acteurs privés et étatiques à investir massivement dans l’acquisition de terres en Afrique afin d’assurer l’approvisionnement de leurs chaines de productions en cultures alimentaires mais aussi non alimentaires.
Une menace pour le développement de l’Afrique
Certes ces investissements massifs dans l’agriculture en Afrique peuvent être source de retombées positives. Cependant, la cession non régulée des terres africaines réduit les surfaces réservées aux cultures vivrières, augmente les prix des produits agricoles sur les marchés locaux, ce qui limite l’accès des populations aux denrées de base et fragilise la paix sociale. L’accaparement des terres fait planer sur le continent africain d’importants risques environnementaux. En effet, des pays désireux de préserver leurs réserves hydriques préfèrent produire leur nourriture dans des pays africains en exploitant sans grandes restrictions leurs ressources aquifères. A cet effet, en Ethiopie pays riche en eau car traversé par le fleuve du Nil, les pays du golf sont les deuxièmes propriétaires agricoles étrangers après l’Inde.
Néanmoins, en parallèle avec l’ensemble des risques alimentaires, sociétaux et environnementaux causés par l’exploitation non régulée des terres africaines par des investisseurs étrangers, certains projets bien gouvernés peuvent, eux, participer au développement durable de leurs zones géographiques d’appartenance. A cet égard, le réseau Aga Khan pour le développement économique gère au Kenya une production agricole d’haricots verts transformée et conditionnée localement ; cette production repose sur des partenariats impliquant près de 60.000 petits agriculteurs bénéficiant de formations, d’un accès privilégié aux engrais ainsi qu’à une assistance technique ; en contrepartie les petits agriculteurs s’engagent à consacrer 75% de leurs cultures aux marchés locaux.
Vers le développement d’un modèle de gagnant-gagnant
En somme, les investissements étrangers dans l’achat de terres agricoles africaines ne causent pas exclusivement que des déséquilibres sociétaux et environnementaux ; ces investissements peuvent aussi avoir des retombées positives à condition de respecter les principes du développement durable et des droits d’usage des terres par les populations locales. Hormis une réponse timide et non contraignante proposée par la FAO, Il appartient à l’Afrique de choisir les projets qui garantissent le bien être de sa population et la pérennité de ses ressources. Pour ce faire, et face à la puissance des Etats et firmes multinationales désireuses de prendre le contrôle des terres africaines, la réponse du continent africain doit se faire de façon coordonnée et unie via des instances régionales (CEDEAO, CEMAC, etc.) mais aussi à plus grande échelle via l’union africaine. En effet, laisser les Etats africains affronter seuls les convoitises étrangères seraient synonymes d’offrir la sécurité alimentaire des africains au plus offrant. Ainsi, l’organisation panafricaine doit se pencher sur la question en obligeant les acteurs étrangers désireux de partager « le gâteau africain » à se conformer à un cahier des charges garantissant que les projets avenirs contribueront à la révolution verte du continent en augmentant les rendements des cultures notamment grâce à la généralisation de l’emploi d’engrais, respecteront les principes du développement durable et garantiront un transfert de technologie et des moyens de production susceptibles de permettre aux africains d’exploiter ensemble leurs terres et de finalement se partager les bénéfices entre eux.
Mohammed Amine DIOURI