Lorsque l’on évoque l’Afrique de l’Est, l’une des premières images qui nous vient à l’esprit est celle des clichés tristement célèbres d’enfants faméliques pris par des reporters et photographes étrangers lors des famines ayant traversées des pays comme la Somalie, l’Ethiopie ou plus récemment le Soudan du Sud. Ces photos contrastent avec la réalité d’une zone disposant de millions d’hectares de terres agricoles arables susceptibles d’en faire le « grenier de l’Afrique ». Cependant, la sécurité alimentaire de l’Afrique de l’Est est entravée par plusieurs facteurs tels que : les sècheresses, les guerres civiles, l’éclatement des parcelles agricoles, le manque d’infrastructures ainsi qu’à cause de la faible et non adaptée utilisation des engrais. De nos jours, si plusieurs efforts ont été entrepris par les gouvernements respectifs des pays de la zone afin de développer leurs secteurs agricoles, la productivité des terres cultivées reste faible compte tenu d’un recours insuffisant aux engrais, élément considéré comme le facteur clé de succès de toute révolution agricole. Devant un tel état des lieux, caractérisé par un fort potentiel agricole restant encore inexploité, les pays de l’Afrique de l’Est prennent de plus en plus conscience de la nécessité de recourir à des engrais adaptés à leurs sols et cultures agricoles. Par conséquent, l’Afrique de l’Est représente un marché décisif ou s’affrontent de grands exportateurs d’engrais comme l’Arabie Saoudite, le Maroc et la Chine. Quelles sont donc les stratégies privilégiées par ces différents acteurs en vue de contribuer à la révolution agricole de la partie Est du continent africain ?
L’Afrique de l’Est, grenier potentiel de l’Afrique
Actuellement, l’Afrique concentre 60% des terres arables non exploitées dans le monde. Une partie importante de ces terres est localisée dans la partie Est du continent. Selon les chiffres de « l’Agricultural Transformation Agency », l’Éthiopie dispose à elle seule de 74 millions d’hectares de terres arables. La partie Est africaine est aussi dotée d’importantes ressources hydriques, en effet, celle-ci est traversée par les affluents du Nil et dispose de plusieurs grands lacs ; la bonne exploitation de ces ressources pourrait assurer un apport constant en eau aux cultures agricoles de cette région du monde. D’aussi importantes dotations naturelles, pousse un pays tel que la Tanzanie à être de plus en plus conscient de son riche potentiel agricole ; ce pays a entamé dès l’année 2008 l’aménagement d’un large corridor agricole allant du lac Tanganyika à l’océan indien. Lors d’un déplacement en France, l’ex-président tanzanien Jakaya Kikwete a déclaré : « Nous disons aux producteurs d’engrais français : venez ! le marché est là!… Actuellement, nous sommes auto-suffisant à 95 %, mais nous voulons produire en surplus »[1].
L’Afrique de l’Est: un marché de compétition entre l’Arabie Saoudite, le Maroc et la Chine.
L’invitation de l’ex-président tanzanien devrait intéresser les grands acteurs mondiaux du secteur des engrais ; ces derniers sont de plus en plus attirés par le fort potentiel du marché Est africain et adoptent à cet effet différentes stratégies afin de répondre aux besoins en engrais de cette zone de l’Afrique.
Du côté de l’Arabie Saoudite, l’Afrique de l’Est représente un marché de proximité idéal pouvant recevoir la récente montée en puissance de la production d’engrais phosphatés du pays. En effet, l’Arabie Saoudite, dont l’économie reposait exclusivement sur les recettes pétrolières, a entamé depuis quelques années un programme de diversification de son économie. L’exploitation minière représente l’un des piliers de la nouvelle vision 2030 ; Ainsi plus de 13 milliards de dollars ont été investis par le royaume saoudien afin de tirer profit de ses grandes réserves en phosphate (680 millions de tonnes). Par conséquent, l’Arabie Saoudite dispose actuellement de coûts de production très compétitifs grâce à la création d’un des plus grands et plus intégrés complexes de production d’engrais phosphatés dans le monde. Comme le royaume saoudien n’est pas un pays agricole, la large majorité de son importante production est destinée à l’exportation, principalement en Asie et en Afrique de l’Est (zone proche géographiquement) et où l’Arabie saoudite dispose de nombreux actifs agricoles.
D’un autre côté, l’Afrique de l’Est représente pour le Maroc le prolongement naturel de sa stratégie de développement en Afrique. Le royaume chérifien mise sur la conclusion de partenariats économiques visant à mettre en place des usines de production d’engrais à l’échelle des pays africains avec pour but d’accompagner la révolution agricole du continent : ainsi, après le Gabon et le Nigéria c’est avec l’Ethiopie que le royaume marocain a entériné un accord industriel de 3,7 milliards de dollars, visant à construire un large complexe industriel d’engrais phosphatés adaptés aux sols éthiopiens. A terme, ce projet permettra à l’Ethiopie de couvrir ses besoins en engrais dont elle importe actuellement 900.000 tonnes. Dans une même logique ambitionnant de répondre aux besoins mondiaux croissants en engrais, le marocain OCP ainsi que l’émirati ADNOC, viennent de conclure une joint-venture qui associera les plus grandes réserves de phosphate dans le monde avec la plus grande capacité de production de soufre en vue de créer une usine de classe mondiale de production d’engrais.
Finalement, pour la Chine, l’Afrique de l’Est constitue un marché prometteur permettant d’écouler les excédents temporaires de sa large production. En effet, depuis 2008 la production de l’empire du milieu n’a cessé d’enregistrer des records de croissance. Cela a pour conséquence de dégager des surplus de production pouvant répondre aux besoins en fertilisants des sols Est africains.
En somme, l’Afrique de l’Est s’avère être un marché crucial qui sera amené à être de plus en plus âprement disputé par les grands producteurs mondiaux d’engrais, tant les marchés traditionnels européen et nord-américain semblent être saturés. Afin d’assurer une utilisation efficiente des engrais dans la région Est africaine, un programme tel que « The East African Productivity Progamme » gagnerait à lancer des études plus détaillées sur les sols de cette partie de l’Afrique afin d’inviter les grands producteurs d’engrais à proposer des fertilisants plus adaptés ; à l’image de l’étude des besoins des sols éthiopiens menée par le géant marocain OCP en amont de sa pénétration du marché Est africain.
Mohammed Amine DIOURI
[1]http://paris-international.blogs.la-croix.com/la-tanzanie-se-reve-en-grenier-de-lafrique/2013/01/31/