Pour assurer une riposte cohérente face aux menaces qui pèsent sur les internautes du Maghreb et du Moyen-Orient et définir un modèle de souveraineté numérique équilibré, il est essentiel d’engager des pistes de collaboration et d’actions autour de quatre axes.
Les pays du Sud représentent un laboratoire d’innovation et de transition numérique captivant. Les espaces économiques comme le Maghreb ou le Moyen-Orient connaissent un dynamisme créatif permettant à la jeunesse d’être un acteur de leur développement et, pour une fois, d’avoir prise sur son avenir.
En quelques années, l’accès à internet a connu une progression fulgurante grâce aux investissements dans les câbles sous-marins, le déploiement de la téléphonie mobile et la démocratisation de la 4G. Cette évolution a permis de changer nos usages et de créer un nouvel écosystème fondé sur l’industrie numérique qui a pour moteur le dynamisme d’une population jeune et connectée. Elle a aussi fait émerger des modèles uniques et inspirants, à l’image des start-up africaines de mobile banking.
La data, cette mine d’or
Mais cette transformation n’est pas sans conséquences. Notamment au Maghreb, où cette vague n’a pour l’heure pas encore déferlé, comme en témoigne le faible nombre d’utilisateurs des services mobiles.
Aussi, la sous-région présente un fort potentiel de croissance pour les géants de l’internet américains et chinois dans leur course au leadership technologique mondial et au pétrole du XXIe siècle : la data. Avec une population connectée principalement sur mobile, les données personnelles représentent une mine d’or pour les Gafam et les BATX [respectivement les géants américains et chinois du web].
Cybercriminalité
Parallèlement à cette lutte pour capter nos données, la région est aussi touchée par un phénomène qui représente de nombreux risques, tant au niveau financier que politique et sociétal : la cybercriminalité. L’émergence de ce nouvel écosystème technologique a vu apparaître des menaces d’un genre nouveau : escroqueries, ingénierie sociale et cyberespionnage, mais aussi hacktivisme et cyberterrorisme.
Ces menaces touchent en premier lieu les populations, impuissantes et souvent désarmées face au phénomène, mais aussi des institutions étatiques ou des structures privées comme des PME, des multinationales ou des institutions bancaires.
Le logiciel Wannacry a causé beaucoup de dégâts aux entreprises, comme à cette usine Renault au Maroc paralysée en 2017
L’exemple de Wannacry le démontre. Ce logiciel malveillant chiffre les fichiers d’un système informatique et les rend inutilisables… à moins d’accepter de payer une rançon pour les débloquer. Ce « rançongiciel » a causé beaucoup de dégâts aux entreprises, comme à cette usine Renault au Maroc paralysée en 2017. Du côté du Moyen-Orient, le cyberespionnage et le sabotage industriel ont connu un accroissement considérable sur fond de tensions géopolitiques entre l’Iran et les pays du Golfe.
Comment assurer donc la souveraineté numérique des actifs stratégiques d’un pays, protéger la vie privée de ses citoyens, tout en encourageant la transition numérique, principal moteur de développement des pays émergents ? Une réponse globale est nécessaire.
Une riposte nécessaire
Pour assurer une riposte cohérente face au phénomène et définir un modèle de souveraineté numérique équilibré, il est essentiel d’engager des pistes de collaboration et d’actions autour de quatre axes.
D’abord, définir la transition numérique comme priorité stratégique en y intégrant la cybersécurité et la protection des données comme élément central.
Ensuite, développer les formations et les cursus universitaires dans le domaine de la cybersécurité. Cette mesure permettra de se prémunir contre les risques et les menaces cités plus haut, tout en bénéficiant au développement du marché du travail.
Un enjeu à placer au centre
Les États ne pourront pas faire l’économie d’un cadre normatif cohérent qui apporte des réponses juridiques contre les actions des cybercriminels et protège les données personnelles des citoyens. Enfin, et la responsabilité en incombe là encore aux acteurs publics, il faut promouvoir la sensibilisation à la sécurité numérique en créant des espaces de dialogue entre acteurs privés et institutionnels.
In fine, l’enjeu de la souveraineté numérique doit être au centre de notre approche des problématiques soulevées par la quatrième révolution industrielle. Les acteurs politiques, économiques et sociétaux doivent travailler ensemble afin de mettre en place des dispositifs cohérents et réalistes. Les parties prenantes occupant le leadership sur le sujet doivent certes disposer de compétences techniques, mais également d’un bagage normatif et culturel et d’une capacité à sensibiliser leurs interlocuteurs. Telle sera la clé de la réussite de la transition numérique dans les pays nord-africains.
Ali Moutaïb sur JeuneAfrique