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Contrefaçon des médicaments en Afrique de l’ouest : une coalition des États nécessaire pour endiguer le fléau

Un fléau de santé publique mondial, qui cible principalement l’Afrique

La contrefaçon de médicaments est devenue le trafic illicite le plus lucratif du crime organisé. Pour comparer les activités les plus rentables, ce marché est de 10 à 25 fois[1] plus rentable que celui de la drogue. Geoffroy BESSAUD, directeur de la coordination anticontrefaçon du groupe pharmaceutique français Sanofi, compare même précisément ces trafics majeurs : « Un investissement de 1.000 dollars rapporte 500.000 dollars pour de la contrefaçon de médicaments, quand elle n’est que de 20.000 dollars pour du trafic d’héroïne »[2].

Selon une étude du World Economic Forum, le chiffre d’affaires de cette contrefaçon est estimé à 150 milliards, et a triplé en moins de cinq ans.

Ces trafics s’effectuent sur l’ensemble des pays dans le monde, mais ciblent principalement les pays en voie de développement. Lorsque 10% des médicaments sont contrefaits dans les pays développés, en provenance principalement de Chine et d’Inde, le pourcentage grimpe de 30% à 70% selon les pays africains. Selon l’OMS, 60% des médicaments achetés dans le Golfe de Guinée sont contrefaits[3].

Bien qu’il faille distinguer les trois types de contrefaçons sur ce secteur – à savoir les contrefaçons contenant le bon principe actif mais sous-dosé, les contrefaçons sans principe actif, et les médicaments contenant des substances toxiques[4]– pas moins de 100 000 personnes meurent chaque année en Afrique à cause des médicaments contrefaits.

Ce fléau pose des problèmes de santé publique majeurs, car comme le rappelle Bernard LEROY, directeur de l’IRACM(Institut International de Recherche Anti-Contrefaçon de Médicaments), les médicaments sous-dosés peuvent entrainer des résistances aux médicaments (contre la tuberculose par exemple), mais également tuer lorsque les personnes utilisent des médicaments contenant des substances toxiques.

De nombreux facteurs propices à la prolifération de ce marché illicite dans la région

Ces réseaux pénètrent les marchés africains grâce à différents facteurs, et tout d’abord à cause d’une sécurisation limitée des importations de médicaments sur la zone.

En effet, les circuits d’approvisionnement de bon nombre de pays africains sont peu sécurisés, et trop fragmentés. Les conteneurs provenant des pays frauduleux arrivent à se mêler in fine à ceux des médicaments provenant de laboratoires contrôlés, dans les ports notamment, sans que des vérifications soient effectuées à leur arrivée sur le continent. Ces derniers s’avèrent pourtant nécessaires. Les chaînes d’approvisionnement sont à renforcer afin de limiter les intrusions de ces médicaments frauduleux tout au long du processus de distribution, que ce soit à partir des pays fournisseurs, des différents laboratoires, des centres répartiteurs ainsi qu’aux échelons de distribution dans les officines, les centres médicaux et les hôpitaux.

Il y a également un vide juridique sur ce trafic, considéré, comme le reconnaît l’IRACM, simplement comme un délit de violation de la propriété industrielle. Ce qui n’est pas le cas des trafics de stupéfiants, alors que les conséquences sur la santé sont tout aussi dangereuses. Les législations ne sont également pas les mêmes selon les pays de la zone, ce qui rend difficile une uniformisation et une politique régionale commune en matière de lutte contre ce marché parallèle. Interpol, comme le rappelle Françoise DORCIER, coordinatrice du Programme sur les marchandises illicites et la santé mondiale, a pour objectif de faciliter une coopération internationale sur ce secteur, mais les disparités entre les systèmes et politiques des différents pays compliquent fortement la tâche.

La faible sensibilisation auprès des populationsest également un facteur important de prolifération de ces médicaments contrefaits dans cette zone. Selon Raymonde Goudou Coffie[5], Ministre de la santé de la Côte d’Ivoire, et initiatrice du comité sous-régional de lutte contre les médicaments de la rue, les populations ne savent pas qu’il revient aujourd’hui moins cher d’acheter, par exemple, 10 gélules de paracétamol en officine plutôt qu’une seule gélule sur les marchés illégaux ivoiriens[6] ; et que les médicaments accessibles sur les réseaux non officiels peuvent être mortels. Ce marché parallèle entraîne, selon l’ordre des pharmaciens ivoiriens, une perte de près de 50 milliards de francs CFA du marché pharmaceutique légal du pays.

Le boom de ce circuit illégal a également été possible grâce à la vente de médicaments sur internetqui a fortement augmenté. En effet, ce circuit de distribution permet aux contrefacteurs d’échapper aux circuits traditionnels de distribution. L’OMS a constaté que près de 50% des sites de vente de médicaments en ligne, qui dissimulent leur adresse, sont en fait des trafiquants de médicaments contrefaits.

Les facteurs listés précédemment sont d’autant plus difficiles à améliorer et contrôler que les inégalités entre les pays de la région sont grandes. En effet, que ce soit au niveau des appareils juridiques, de la sécurisation de la chaîne d’approvisionnement, de la prévention auprès de la population ou du contrôle sur internet, les trafiquants jouent sur ces disparités pour passer entre les mailles des filets.

Des systèmes et partenariats à consolider et normaliser

La production de médicaments sur le continent Africain n’étant que de 3%, la solution d’une production locale pour contrer l’arrivée massive de ces médicaments n’est pas une solution court-termisme. Il faut donc se focaliser dans un premier temps sur les failles de sécurité des importations de ces produits.

Comme l’indique Françoise DORCIER, Interpol a pour objectif d’améliorer la coopération internationale en matière de lutte contre ce trafic. C’est notamment grâce à l’opération de cette organisation, Pangea VIII, qu’une saisie historique de 20,7 millions de médicaments a été possible après une investigation dans 115 pays, entrainant l’arrestation de 156 personnes en 2015.Cependant, ce dispositif vient en répression, et n’a pas vocation à agir en amont dans les différents pays pour endiguer l’afflux massifs de ces produits interdits et dangereux. Il en est de même pour les initiatives nationales de saisie de marchandises (Côte d’Ivoire, Bénin[7]et Sénégal[8]récemment). C’est donc à chaque pays d’améliorer les contrôles et de former les autorités responsables en la matière pour détecter ces produits contrefaits, notamment au niveau des douanes locales.

La volonté de créer une Agence africaine du Médicament(AMA)[9], attendue pour 2018, est une initiative qu’il conviendrait de mener à son terme et d’inclure le plus grand nombre de pays africain dans ce dispositif.  Cette agence aura pour missions principales d’assurer l’harmonisation des règlementations des pays membres, mais également de veiller à l’intégration et la mutualisation des ressources disponibles sur le continent.

La« législation communautaire » souhaitée par les membres de la Commission santé et services sociaux[10]de la CEDEAO dans la lutte contre la contrefaçon de médicaments pourrait également rapidement voir le jour, et contribuer à l’harmonisation des règlementations nécessaires.

De nombreux dispositifs ont été développés par les pays européens et pourraient inspirer les autorités locales pour gagner en temps et en efficacité, voire s’appuyer sur ces derniers le temps de mettre en place des organismes locaux efficients.

Le 19 juin 2017, la Guinée est notamment devenue le premier pays africain à ratifier la convention Médicrimedu Conseil de l’Europe. Signée également par le Maroc et le Burkina Faso, mais non ratifiée par ces derniers pour le moment, cette convention est le premier traité international de droit pénal contre les produits médicaux contrefaits. Cet arsenal juridique, qui est pour le moment l’unique traité à pouvoir protéger les victimes et juger les trafiquants d’une part, mais également le seul à établir des partenariats avec le secteur privé afin de sécuriser les chaînes d’approvisionnement et prévenir la criminalité d’autre part.

Cette convention Médicrime pourrait être source d’inspiration pour la législation communautaire souhaitée par la CEDEAO et devenir un support temporaire aux pays membres. En développant le partenariat avec l’Union européenne, elle pourrait même devenir le traité de référence en Afrique, permettant une mise en place rapide d’un arsenal judiciaire éprouvé sur cette thématique, et ainsi permettre une avancée majeure sur la répression à mener contre les trafiquants.

La mise en place rapide d’un arsenal judiciaire serait une avancée majeure sur la répression à mener contre les trafiquants, mais la sécurisation des chaînes d’approvisionnement doit demeurer la priorité pour les ministères de la santé locaux.

Cette problématique de sécurisation du réseau d’approvisionnement est prise en compte depuis plusieurs années par le Maroc, qui a notamment développé le LNCM – Laboratoire National du Contrôle des Médicaments. Ce dispositif met l’accent sur un contrôle strict de la distribution menée par les grossistes répartiteurs marocains. Ce pays a par ailleurs intégré le Réseau des Laboratoires officiels du contrôle des médicaments (OMCL)[11]de l’Union européenne, dont il est membre associé.

Outre le contrôle fait par ces laboratoires, ce réseau entraîne également la réduction des dépenses publiques par une mise en commun des travaux par les pays membres de l’OMCL. Ces réseaux permettent une indentification et structuration des acteurs économiques de ce secteur, pour une meilleure visibilité de l’offre.

La Pharmacopée européenne, qui fournit des normes de qualité dans la fabrication des médicaments, est également entièrement insérée dans le dispositif marocain, qui en est observateur[12], et ce depuis 1997.

Le Maroc est également proactif sur le contrôle des ventes de médicaments sur internet. En effet, comme l’indique l’article 30 de la loi 17-04 portant Code du médicament et de la pharmacie, la vente des médicaments au Maroc doit obligatoirement se faire en pharmacie, et est donc interdite sur internet.

Cependant, cette interdiction de vente en ligne n’est efficace qu’avec une prévention auprès de la population. En effet, la population se doit d’être informée des conséquences de ces produits contrefaits sur la santé, et ce afin de dissuader les acheteurs de se procurer des produits sur internet. Cette prévention doit être généralisée sur l’ensemble des pays, non seulement pour la vente en ligne, mais également sur les marchés où sont revendus les médicaments provenant des circuits parallèles. Les pouvoirs publics des pays de la région doivent s’unir dans cette prévention auprès de la population africaine pour les inciter à acheter les médicaments auprès des personnels autorisés à distribuer des médicaments uniquement, gage de contrôle et de qualité des produits. Cette prévention doit également être coordonnée avec les ONG présentes sur la région et engagées dans cette lutte[13].

La tenue de la deuxième édition des Assises nationales du médicament et des produits de santéau Maroc les 23 et 24 février 2018, qui a réuni plus de 16 pays africains, montre une réelle volonté de voir émerger une coalition contre ce fléau de santé publique. Espérons que la Résolution de Rabat, qui vise à renforcer la lutte contre ces trafics, signée par 10 pays africains lors de ces Assises nationales, soit une première réponse collective africaine, et que les accords de coopération signés lors de cet événement puissent uniformiser les systèmes mis en place dans certains pays sur l’ensemble de la zone.

Alexia Gaudron

[1]Rapport LEEM, juin 2017, « Contrefaçons de médicaments, une atteinte à la santé publique », lu en avril 2018, https://www.leem.org/presse/dossier-de-presse-contrefacon-de-medicaments-une-atteinte-la-sante-publique

[2]Propos recueillis pour francetvinfo.fr dans l’article du 16 janvier 2018, « Le business des faux médicaments ravage l’Afrique », lu en avril 2018 https://www.francetvinfo.fr/sante/medicament/le-business-des-faux-medicaments-ravage-l-afrique_2564825.html

[3]Rapport PROPARCO, 4èmetrimestre 2017, « Le médicament en Afrique : Répondre aux enjeux d’accessibilité et de qualité » lu en avril 2018, https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&cad=rja&uact=8&ved=0ahUKEwi91pj1npXbAhVEuhQKHXrRB-8QFggpMAA&url=https%3A%2F%2Fwww.proparco.fr%2Fsites%2Fproparco%2Ffiles%2F2018-01%2Fproparco-RevueSPD28-medicament-afrique-FR.pdf&usg=AOvVaw2p8gdz_T5X667KE_NxVTNa

[4]Rapport LEEM, juin 2017, « Contrefaçons de médicaments, une atteinte à la santé publique », lu en avril 2018, https://www.leem.org/presse/dossier-de-presse-contrefacon-de-medicaments-une-atteinte-la-sante-publique

[5]Interview Medi1TV Afrique, mars 2018, lu en avril 2018, https://www.youtube.com/watch?v=xHFjcCt4DV4

[6]Comme le marché ivoirien d’Adjamé-Roxy, détruit fin 2017 par les autorités ivoiriennes, cité dans l’interview Medi1TV Afrique, mars 2018, lu en avril 2018, https://www.youtube.com/watch?v=xHFjcCt4DV4

[7]Fondation Chirac, 9 mars 2017, « Benin : la lutte contre les faux médicaments s’accélère », lu en avril 2018, http://www.fondationchirac.eu/2017/03/benin-la-lutte-contre-les-faux-medicaments-saccelere/

[8]Khadim MBAYE pour La Tribune, 15 mais 2017, « Sénégal, la lutte contre les faux médicaments s’intensifie », lu en avril 2018, https://afrique.latribune.fr/economie/strategies/2017-05-14/senegal-la-lutte-contre-les-faux-medicaments-s-intensifie-712859.html

[9]En partenariat avec l’OMS et la Commission de l’Union africaine.

[10]ICTSD, 19 avril 2017, « Les parlementaires de la CEDEAO affirment leur détermination à lutter contre la contrefaçon de médicaments», lu en avril 2018.

[11]Conseil de l’Europe, Réseau Général Européen des OMCL, lu en avril 2018, https://www.edqm.eu/fr/reseau-general-europeen-des-omcl-geon

[12]Conseil de l’Europe, Bureau de la Direction Générale des Programmes, Relations entre le Maroc et le Conseil de l’Europe, lu en avril 2018 https://www.coe.int/fr/web/programmes/morocco

[13]La Fondation Chirac est notamment un soutien important des ONG de la région.