Moins de cinq mois après son déclenchement, le nouveau coronavirus s’est répandu d’une façon exponentielle partout dans le monde, contaminant déjà plus de 3,5 millions de personnes. Cette expansion effrénée s’explique non seulement par la contagiosité assez élevée de ce virus mais aussi par le fait que nous vivons dans un monde où les individus se déplacent et interagissent entre eux d’une façon sans précèdent. Ce paramètre rend encore plus difficile la maitrise et l’éradication du Covid-19. À cet effet, l’Organisation mondiale de la santé considère que le tra-çage électronique devrait être (en parallèle avec le suivi des personnes infectées et la réalisation étendue des tests) un des piliers de la réponse à fournir par les États afin d’endiguer ce fléau. La Chine a été le premier pays à adopter une application de tracking face au Covid-19. Si cette initiative a reçu plusieurs critiques dénonçant le caractère invasif d’une telle solution vis-à-vis du respect du droit à la vie privée des populations, nombreux sont les pays qui misent aujourd’hui sur l’adoption d’une solution numérique dans le but de faciliter l’identification des personnes susceptibles de porter le virus. Le Maroc n’est pas en reste..
Qu’est-ce que le traçage numérique ?
Le contact tracing est une procédure visant à établir la liste de personnes susceptibles d’avoir contracté une maladie infectieuse suite à un contact avec une personne infectée. Si dans le cas de certaines maladies le contact tracing est facile à établir compte tenu de la nature des vecteurs de transmission, la nature du nouveau coronavirus rend cette tâche très ardue. D’où la nécessité d’avoir recours à des technologies de tracking afin d’identifier les personnes en question d’une façon optimisée. La réponse des gouvernements au Covid-19 passe donc aussi par les smart-phones, ces derniers peuvent être utilisés pour aider au contact tracing mais aussi à prévenir les personnes potentiellement porteuses de la maladie grâce à l’envoi de messages d’alertes. En ce sens, plusieurs procédés techniques peuvent être exploités à l’image de l’usage de la technologie GPS afin de garder un registre de tous les emplacements par lesquels une personne infectée est passée ; cela permet de les croiser avec les registres des autres personnes en vue d’identifier les individus ayant été en contact avec le porteur de la maladie. Cependant, l’usage du tracking par GPS soulève beaucoup de questionnements sur le respect de la vie privé. S’ajoute à cela le fait que les satellites GPS ne permettent pas d’identifier avec une grande exactitude l’em-placement précis d’une personne dans le cas où celle-ci vit par exemple dans un immeuble de plusieurs étages. Une autre technique consiste pour sa part à utiliser la technologie Bluetooth dans le but d’enregistrer les identifiants de tous les téléphones qu’une personne contagieuse a pu croiser avant d’être mise en isolation. Cette dernière technique offre une plus grande confidentialité pour les raisons suivantes : la technique n’utilise pas des données de localisation, les identifiants (clés) sont anonymes, le « matching » se fait sur les smartphones de chaque individu et les registres ne sont partagés avec les autorités que si une personne est déclarée infectée ou risque de l’être. Néanmoins, ces deux procédés nécessitent que les personnes téléchargent les applications de tracking et qu’elles gardent avec elles leurs téléphones lors de l’ensemble de leurs déplacements. Dans le but de s’assurer que la localisation des personnes soit indentifiable en permanence, des pays misent sur des bracelets de tracking. En Corée du Sud, les personnes ayant violé les ordres de quarantaine peuvent être obligées à porter des bracelets de tracking.
Quid du traçage numérique au Maroc ?
S’inspirant de solutions de traçage numérique adoptées par certains pays asiatiques particu-lièrement Singapour, le Maroc a pris la décision de mettre en place une application de traçage numérique afin de gérer au mieux la crise sanitaire du nouveau coronavirus. La première version de cette application devait être opérationnelle fin avril dernier.En effet, cette application a pour objectif de repérer de manière précoce les personnes ayant été en contact avec des cas confirmés, en vue d’endiguer la pandémie. L’application permettra également de cibler les tests de dépistage ainsi que de préparer la période de déconfinement, notamment par l’isolement des cas détectés et la prévention de toute prolifération éventuelle de foyers locaux.Techniquement, un identifiant unique sera associé à chaque installation de l’application et chaque utilisateur sera suivi par la technologie Bluetooth (en effectuant un scan des téléphones à proxi-mité). L’application devra se servir d’un « rétro-historique » appelé « back-tracking » de contacts des cas confirmés sur les 14 à 21 derniers jours pour contenir les cas potentiels de contamination. Les utilisateurs ayant été en contact avec la personne contaminée seront avisés par « push » sur l’application et/ou par SMS leur recommandant de s’isoler et les informant sur le passage d’une équipe médicale afin d’effectuer des tests de dépistage. Le traçage numérique permettra aussi de fournir une base de données susceptible d’aider la gestion de la période du déconfinement dans le sens où plusieurs indicateurs (nombre de conta-minés déclarés sur la plateforme, nombre de potentiels contaminés, les zones à risque élevé de contamination, etc.) seront centralisés au niveau d’un tableau de bord accessible aux équipes chargées d’administrer l’application. Il est à préciser que seules les données des personnes pré-sentant des symptômes ou testées positives au coronavirus figureront au niveau du tableau de bord central.In fine, la mise en place d’une application de traçage numérique pose des questions sur le degré de conciliation entre la protection de la santé publique et le respect à la vie privée. La Com-mission Nationale de Contrôle de Protection des Données à Caractère Personnel (CNDP) devra veiller à ce que l’application soit mise en place dans un cadre respectueux de la vie privée et des données personnelles. À cet égard, la CNDP avait recommandé que l’application soit installée vo-lontairement, tout en créant les conditions nécessaires d’une acceptabilité sociale et en confor-tant la confiance numérique.
Initialement publié dans la lettre HA, édition de mai 2020.