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L’Afrique face au Covid-19 : quels enseignements tirer de l’épidémie d’Ébola ?

Depuis la fin de l’année 2019, le monde fait face à la propagation alarmante d’un nouveau virus nommé SARS-CoV-2. Cette épidémie qui s’est d’abord déclenchée en Chine dans la province du Hubei a vite été relevée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au rang de pandémie. Cette dernière a déjà infecté plusieurs centaines de milliers de personnes et causé des dizaines de milliers de morts à travers le globe, sans compter les nombreuses répercussions économiques et sociales. Si la situation semble s’améliorer en Chine, l’actuel foyer de l’épidémie semble se déplacer en Europe avec des pays sévèrement touchés, à l’instar de l’Italie et de l’Espagne qui ont dépassé le bilan de morts enregistré auparavant dans l’empire du milieu. L’Afrique qui, quant à elle, semblait avoir été épargnée par la propagation du virus enregistre ces derniers jours de plus en plus de cas, laissant ainsi présager que le continent pourrait être l’un des prochains foyers de la pandémie du Covid-19. Ayant conscience de la gravité de la situation, les pays africains ont pris en avance un ensemble de mesures préventives destinées à freiner la propagation du virus en tirant notamment profit de leurs expériences respectives dans la lutte contre un autre ennemi invisible, à savoir le virus Ebola.

I- Les mesures préventives entreprises par les pays africains face à la pandémie du Covid-19

Avec plus de 1000 cas enregistrés au bout de la troisième semaine du mois de mars ainsi que la déclaration de nouveaux cas dans les rares bastions encore épargnés tels que le Mali et la Libye, l’Afrique ne semble plus échapper à l’avancée inexorable du nouveau coronavirus. C’est ainsi que de nombreux pays ont déclaré la fermeture des écoles, des lieux de culte, l’interdiction des rassemblements de masse, le confinement de leurs populations ainsi que la fermeture de leurs frontières aériennes, terrestres et maritimes, etc… La communauté africaine n’a donc pas attendu l’appel du directeur général de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus invitant les pays du continent à se préparer en avance à la pandémie et à s’attendre au pire. Ces mesures drastiques s’expliquent par la conscience de la gravité de la situation par un continent ayant déjà enduré plusieurs autres épidémies, mais aussi par le réalisme des dirigeants africains face aux insuffisances flagrantes du continent en termes de disponibilité de l’eau[1] et d’installations sanitaires : spécialement en lits de réanimations équipés de respirateurs artificiels. L’autre élément pouvant fournir une réponse à cette grande réactivité pourrait être le fait que l’Afrique a, cette fois-ci, le sentiment qu’elle ne pourra pas compter (contrairement au cas d’Ébola) sur une aide internationale massive ; les ressources des puissances mondiales sont en priorité destinées à la lutte contre la propagation du virus au sein de leurs territoires respectifs.

II- Les mesures entreprises par les pays africains pour lutter contre Ebola

Alors que le bilan de la pandémie s’alourdit de jour en jour, le nouveau coronavirus évoque une autre crise sanitaire à laquelle l’Afrique a été confrontée ces dernières années. Il s’agit du virus Ebola qui a entrainé des milliers de morts en 2014 ; un virus certes différent à plusieurs égards du Covid-19 compte tenu des modes de transmission, du taux de létalité, de la fréquence et la gravité des complications, mais a fourni aux pays africains une expérience de gestion de crise et pourrait inspirer le reste du monde dans son combat contre la pandémie de coronavirus.

Entre 2014 et 2016, le virus Ebola a sévi en Afrique de l’Ouest, partant principalement de la Guinée pour toucher la Sierra Leone et le Libéria mais aussi des pays en dehors du continent africain, ce dernier qui n’y était pas du tout préparé. À cet égard, plusieurs mesures ont été mises en place afin d’endiguer le virus d’Ebola.

Des actions de sensibilisation diverses et variées

En vue de faire naître un engagement pour agir et mettre un terme au virus Ebola, l’Afrique de l’Ouest s’est attelée à sensibiliser la population via plusieurs moyens notamment le porte-à-porte (avec l’initiative « parler de maison en maison » « Ose to Ose Ébola Tok » mise en place par le gouvernement de la Sierra Leone), la production et la diffusion de chansons telles que “Ebola Is Real” et la mobilisation des personnalités ayant une grande influence sur la population, qu’il s’agisse d’experts, chefs religieux, journalistes, sportifs, chanteurs, acteurs, etc. (le cas du gouvernement du Libéria[2] qui a fait appel à des leaders religieux pour déclarer la gravité de la situation). Dans l’état actuel des choses, la pandémie du coronavirus a inspiré au Vietnam une chanson intitulée Ghen Cô Vy pour prévenir du coronavirus. Dans une autre mesure, l’OMS et la FIFA ont lancé une campagne de sensibilisation « Passe le message pour éliminer le coronavirus » mobilisant les footballeurs de renommée mondiale[3].

La fermeture ou le contrôle des frontières

Les pays de l’Afrique de l’Ouest ont procédé à des contrôles stricts aux frontières, d’autres à la fermeture des frontières avec les pays les plus touchés tels que la Guinée avec la Sierra Leone et le Liberia ou encore le Sénégal avec la Guinée, ce qui a permis de limiter la propagation du virus Ebola.

Le confinement et l’état d’urgence

Pour enrayer la progression du virus Ebola, la Sierra Leone a misée sur le confinement de la population tandis que la Guinée a décrété l’urgence sanitaire destinée à contenir la chaine de transmission avant que celle-ci ne se rompe. Cette stratégie aurait pu inspirer l’Italie dans sa lutte contre le Covid-19.

Le diagnostic avant toutes choses

Les pays de l’Afrique de l’Ouest étaient conscients du fait qu’on ne peut traiter ni soigner une chose invisible ; l’étape primordiale était d’établir le diagnostic du virus. Dans ce sens, des mini-laboratoires mobiles (de la taille de deux boites à chaussures) ont été utilisés afin de procéder à un maximum de tests de dépistage dont les résultats sont disponibles après 3h à 5h au lieu de 2j à 3j. Au Nigéria[4], et dans le même but de repérer les personnes à risque, un décret présidentiel d’urgence a permis d’exploiter des enregistrements téléphoniques et d’avoir recours aux services de police si besoin est. Pour suivre l’état de la propagation de la maladie, les enquêteurs ont utilisé les nouvelles technologies ; il s’agit, à titre illustratif, des applications ou plateformes de données mobiles qui permettent de faire remonter en temps réel les nouveaux cas détectés. Des systèmes d’information géographiques ont été également utilisés pour le suivi des personnes à risque. Dans le contexte du coronavirus, le directeur général de l’OMS ne cesse de souligner la nécessité d’intensifier les tests de dépistage de coronavirus comme le meilleur moyen de ralentir la progression de la pandémie.

La déconstruction des Fake news

Les crises sanitaires n’ont pas seulement un impact sanitaire et économique mais mettent également en avant la propagation des fausses informations. Au sein de la République démocratique du Congo, les Fake news ont été des obstacles à la lutte contre le virus Ebola. En sus des sites web tels que http://www.congocheck.net/ qui visaient à contrecarrer les “Fake news” véhiculées sur les réseaux sociaux ou par tout autre outil de communication, des volontaires de la Croix-Rouge faisaient du porte-à-porte dans l’est de la RDC, en récoltant les rumeurs, les analysant pour revenir chez les habitants avec des réponses plus convaincantes.

La préparation aux urgences

Bien qu’ils soient épargnés par le virus d’Ebola, certains pays africains ont entrepris des mesures de préparation et de riposte pour lutter contre cette épidémie vu qu’ils sont conscients du fait qu’aucun pays n’est à l’abri de menaces liées à de telles maladies. C’est le cas, à titre illustratif, de l’Algérie ainsi que la Côte d’Ivoire. Dans ce sens, un Plan national de préparation d’alerte et de riposte en cas de menaces sanitaires à potentiel épidémique et d’urgence de santé publique de portée internationale[5] a été élaboré avec le soutien de l’OMS en Algérie. En outre, un plan d’actions[6] a été mis en place par la Côte d’Ivoire consistant à planifier et anticiper, acquérir du matériel, assurer l’implication de la communauté, tester les systèmes de réponse via des exercices de simulation, évaluer, mettre en place des améliorations ; ce afin de répondre à toute éventuelle crise ou situation d’urgence.

Finalement, une leçon que les pays africains pourraient fournir au monde est qu’il n’y a pas de havre de paix ; des virus aussi transmissibles que le Covid-19 finissent par saturer n’importe quel système de santé. En effet, les systèmes de santé mondiaux n’ont pas été pensés pour accueillir de telles vagues de malades dans un laps de temps aussi court. L’anticipation et la préparation en demeurent les maîtres-mots.

En somme, bien que l’état des lieux semble être alarmant pour un continent tel que l’Afrique, d’autres éléments permettent quant à eux de dresser un constat plus optimiste. Hormis le fait que les pays africains disposent d’une mémoire (administrative, sanitaire et politique) face à la gestion des crises épidémiques[7], les populations africaines sub-sahariennes seraient plus enclins à respecter les confinements décrétés par les autorités vu que ces mêmes populations ont compris l’efficacité de telles mesures dans la résorption des épidémies. La pyramide des âges de la population du continent est un autre élément qui pourrait réduire le nombre de cas critiques nécessitant des soins spécifiques (respirateurs et lits de réanimation). La disponibilité de stocks de chloroquine, antipaludique susceptible de guérir du Covid-19, pourrait, elle aussi, aider le continent à soigner les personnes atteintes de ce virus. In fine, le continent africain pourrait aussi profiter de l’aide promise par le milliardaire chinois Jack Ma, ce dernier s’est engagé à faire don à chaque pays africain de : 20 000 kits de diagnostics, 100 000 masques, et 1000 combinaisons protectrices. Cette aide sera répartie équitablement entre les différents États en privilégiant les pays les plus touchés ; reste encore à savoir si les faibles moyens logistiques du continent pourront recevoir de façon optimale cette précieuse aide.

Par Mohamed Amine Diouri et Habiba El Mazouni

[1] L’eau est nécessaire dans la lutte contre la propagation du virus via notamment le lavage des mains. Plusieurs populations africaines ont encore un accès difficile à l’eau.

[2] How Can We Prepare for Coronavirus? Learn from Liberia’s experience with Ebola, Center for Global Development, 10th March 2020. Disponible sur : https://www.cgdev.org/blog/how-can-we-prepare-coronavirus-learn-liberias-experience-ebola

[3] https://www.who.int/fr/news-room/detail/23-03-2020-pass-the-message-five-steps-to-kicking-out-coronavirus

[4] Use of technology in the ebola response in west africa. Disponible sur : https://www.msh.org/sites/default/files/technology_and_ebola_response_in_west_africa_technical_brief_final.pdf

[5] https://www.afro.who.int/sites/default/files/2017-06/plan-national-de-pr%c3%a9paration-d%e2%80%99alerte-et-de-riposte-en-cas-de-menaces-sanitaires.pdf

[6] Fortin, Anne, Joseph Vroh Benie Bi, et Abdelkrim Soulimane. « Les enseignements de l’épidémie d’Ebola pour une meilleure préparation aux urgences », Santé Publique, vol. vol. 29, no. 4, 2017, pp. 465-475.

[7] https://www.lepoint.fr/afrique/fred-eboko-l-afrique-a-garde-la-memoire-d-ebola-23-03-2020-2368320_3826.php