Le débat sur la légalisation du cannabis au Maroc

Le cannabis est l’une des plus anciennes plantes cultivées pour ses fibres, ses graines et ses vertus thérapeutiques ou récréatives1Au cours de l’histoire, la feuille du cannabis a été utilisée de manières diverses et variées; elle a été exploitée à des fins alimentaires (sous forme de céréale), techniques (éclairage, fabrication du papier, textile) et médicinales (Bellakhdar, 2013).. Après les années 1930-1940, il fut retiré progressivement de nombreuses pharmacopées en raison de ses effets psychotropes (Roques, 1999). Aujourd’hui, la légalisation du cannabis thérapeutique connait un essor fulgurant dans le monde entier. Au Maroc, on semble être toujours réticent. Bien que pour certains, cette légalisation représente une question dont les périmètres restent intouchables, plusieurs experts et politiciens défendent la légalisation du cannabis médical et en voient des bénéfices à la fois économiques et thérapeutiques majeurs pour le pays. Ainsi, qu’attend le Maroc pour franchir le pas de la dépénalisation et quels sont les enjeux qui en découlent ? Quid des bénéfices de la légalisation de cette plante tant énigmatique ?

Quels enjeux face à la légalisation du cannabis au Maroc ?

Malgré leur illégalité depuis 1954 (loi n°1-73-282), la culture du cannabis et la production du haschich (la résine de cannabis) se sont développées au fil des années au Maroc (Chouvy, 2018) ; plus de 760.000 personnes en vivent en 2013, selon les derniers chiffres officiels disponibles. Aujourd’hui, le débat qui surgit fait de cette agriculture une réalité à encadrer. Toutefois, des enjeux à la fois culturels, historiques et politiques ont permis de maintenir depuis longtemps un certain statu quo socio-économique et politique dans le nord du pays, particulièrement au sein de Ketama devenu « bled du kif ». La culture du cannabis a la vie dure non seulement parce qu’elle s’est développée dans le cadre d’une politique étatique conciliante, mais aussi et surtout parce qu’elle a toujours été associée à un rituel spirituel, thérapeutique, culturel et social.

Par ailleurs, la légalisation du cannabis reste une affaire pendante. Tout au long de l’histoire du Maroc, le statut juridique conféré à cette plante avait fait l’objet d’un sujet d’importance capitale difficile à trancher2Nous notons à cet égard que Moulay Hassan Ier avait adressé vers les années 1880 une lettre aux oulémas afin de demander leurs avis, sur la base des prescriptions de la loi religieuse, sur le statut juridique du commerce du cannabis.. Ouvrir le débat sur la légalisation de la culture du cannabis au Maroc fait resurgir un héritage historique, culturel et politique assez puissant.

En outre, si bon nombre de ménages vivent de la production de cannabis dans le nord du Maroc, ceci ne veut pas dire que les paysans en tirent le plus grand profit. Les intermédiaires notamment les trafiquants, les exportateurs ou encore les distributeurs en sont de grands bénéficiaires. Sans oublier que l’usage le plus commun du cannabis, de nos jours, est récréatif. Ceci dit, le cannabis thérapeutique et industriel, dont il est question au Maroc, laisse certains sceptiques face à sa légalisation ; une décision qui pourrait, selon eux, servir de « cheval de Troie » afin de dépénaliser plus tard le cannabis à usage récréatif.

Ces bienfaits que la légalisation du cannabis apporterait au Maroc

Le Maroc demeure le producteur de cannabis illicite le plus industrialisé au monde avec la plus grande superficie de culture enregistrée, selon l’étude « The Global Cannabis Report » publiée par Prohibition Partners3Prohibition Partners est un cabinet de conseil anglais spécialisé dans le secteur mondial du canna. en novembre dernier. Huit mois avant (mars 2019), le même institut publie un rapport « The African Cannabis Report » selon lequel le Maroc pourrait drainer 100 milliards de dirhams de revenus de la culture du cannabis en cas de légalisation et organisation du secteur. La régulation du secteur du cannabis recèle dès lors un potentiel économique considérable pour le pays, aboutissant sur la création d’innombrables emplois et permettant le développement d’un nouveau secteur économique et entrepreneurial porteur.

Concernant le cannabis médical (l’objet du débat au Maroc), ses qualités antalgiques, antispasmodiques et anti-inflammatoires ne sont plus à démontrer. Selon plusieurs essais cliniques, les cannabinoïdes (le cannabidiol (CBD), cet ingrédient phare des cosmétiques, et le tétrahydrocannabinol (THC) présents dans le cannabis) jouent un rôle important dans le traitement de plusieurs maux notamment en soulageant des douleurs chroniques, en stimulant l’appétit, en améliorant le sommeil, ou encore en atténuant les maladies neurodégénératives comme Alzheimer4Encore préliminaires, des travaux ont été effectués par des chercheurs du Salk Institute consistant à observer, in vitro, que la substance psychoactive contenue dans les plantes de cannabis, leTHC, avait un effet bénéfique contre les plaques amyloïdes caractéristiques de la maladie d’Alzheime.. Quant au marché qui s’ouvre au cannabis thérapeutique, les perspectives de croissance devraient être appétissantes pour l’économie marocaine.

En sus des bienfaits économiques, thérapeutiques et cosmétiques du cannabis, cette plante pourrait servir de produit de terroir à même de jouer un rôle essentiel dans l’attractivité de la région. En effet, la pratique de la culture du cannabis a fait du Rif une des régions les plus réputées dans le monde compte tenu de la qualité du cannabis transformé en résine ; une image de marque qui n’est pas toujours en faveur de la région vu qu’elle a une connotation négative dans le sens commun. Ainsi, pourquoi ne pas réinvestir le cannabis thérapeutique dans une amphore qui reflète l’histoire, la singularité, le patrimoine et l’identité culturelle de ladite région. Une mission qui exige, certes, tout un travail sur le développement des mentalités, une mise en lumière des usages autres que conviviaux et récréatifs du cannabis, … mais le jeu vaut la chandelle.

Ruée vers l’or vert

Ouvert à la concurrence, le marché mondial du cannabis thérapeutique connait de plus en plus une forte expansion. Plusieurs pays ont franchi le pas de la légalisation de l’usage médical du cannabis comme le Canada, les Pays-Bas et Israël en tant que précurseurs, 33 États des États-Unis, des pays de l’Amérique latine tels que le Chili, la Colombie, l’Argentine, le Mexique, le Pérou et l’Uruguay, 21 pays européens comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Portugal, le Luxembourg, la Lituanie et Chypre, la Thaïlande comme le premier pays d’Asie du Sud-Est à légaliser la culture de cannabis à usage médical, ainsi que le Zimbabwe ayant emboîté le pas du Lesotho en Afrique.

En guise de conclusion, la légalisation du cannabis médical au Maroc gagnerait à faire l’objet d’un débat sérieux, plus pragmatique, loin des questions sensibles et sujets tabous, entre l’ensemble des acteurs concernés. Face à un marché en pleine croissance, le Maroc pourrait, sans plus tarder, tirer profit de la légalisation et le développement de l’industrie du cannabis thérapeutique.

Quelles nouveautés le Maroc a-t-il apportées aux débats autour de la légalisation de la production de cannabis à des fins médicales, cosmétiques ou encore industrielles ?

En 2021, une loi n° 13-21 relative aux usages licites du cannabis a vu le jour, en vertu de laquelle l’Agence Nationale de Réglementation des Activités relatives au Cannabis (ANRAC) a été créée et s’est chargée de la mise en œuvre de la Stratégie de l’État dans le domaine de la culture, de la production, de la fabrication, de la transformation, de la commercialisation, de l’exportation du cannabis et de l’importation de ses produits à des fins médicales, pharmaceutiques et industrielles.

L’ANRAC a lancé plus tard une plateforme pour la demande des autorisations sur son site officiel : www.anrac.gov.ma. À février dernier, plus de 230 licences ont été accordées. En outre, les dispositions de la loi n° 13-21 ont été mises en application avec, entre autres, l’octroi en octobre dernier de dix autorisations, au profit d’opérateurs industriels et pharmaceutiques, pour l’exercice d’activités liées à la transformation et la fabrication du cannabis, à la commercialisation et à l’exportation du cannabis et de ses produits.

Il faut dire qu’aucune des activités ci-dessous ne peut être exercée sans une autorisation délivrée par l’ANRAC, à savoir :

  • La culture et la production du cannabis ;
  • La création et l’exploitation de pépinières de cannabis ;
  • L’exportation des semences et des plants du cannabis ;
  • L’importation des semences et des plants du cannabis ;
  • La transformation et la fabrication du cannabis ;
  • Le transport du cannabis et de ses produits ;
  • La commercialisation du cannabis et de ses produits ;
  • L’exportation du cannabis et de ses produits ;
  • L’importation des produits du cannabis.

Parmi les opérateurs ayant décroché l’autorisation de la transformation du cannabis : la coopérative Bio Cannat. Cette dernière porte le projet de la mise en place d’une unité de transformation de cannabis dans la province de Chefchaouen. Cette unité sera dédiée à l’extraction du cannabidiol, cannabigdol, cannabinol, utilisés dans plusieurs industries alimentaires, médicales et paramédicales.

Toujours dans le cadre de rendre la culture du cannabis licite, durable et génératrice de revenus, l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) a accordé le 6 mars dernier, la première autorisation pour l’acquisition de graines de cannabis sur le marché international (selon l’Agence Ecofin) au bénéficiaire qui disposait auparavant d’une autre autorisation de l’ANRAC.

précédemment publié sur la lettre HA.