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Policy transfer et partage de connaissances : Où en est le Maroc ?

Le processus de Policy Transfer renvoie à une opération d’échange de connaissances entre pays partenaires, en vue de renforcer les capacités de l’un, dans un domaine où l’autre dispose d’une expertise notable. Cet exercice s’inscrit dans un contexte de circulation internationale des idées qui correspond à une dynamique de transfert, que l’on retrouve principalement dans le champ des politiques publiques.

Bien qu’au Maroc, le champ des politiques publiques comme catégorie fondamentale de la science politique n’est encore qu’à ses balbutiements, il n’en demeure pas moins pertinent d’explorer le concept de policy transfer en s’interrogeant sur ses préceptes théoriques et les enseignements qu’il peut nous offrir pour une meilleure compréhension des programmes publics ainsi que de leur implémentation. L’on peut définir le transfert des politiques publiques comme  “…Un processus par lequel les connaissances sur la façon dont les politiques, les dispositions administratives, les institutions et les idées dans un contexte politique (passé ou présent) sont utilisées dans le développement des politiques, des dispositions administratives, des institutions et des idées dans un autre contexte politique ” (Dolowitz, Marsh, 2000).

Il s’agit alors d’un exercice de gymnastique intellectuelle s’articulant sur plusieurs domaines d’analyse, à travers une démarche interdisciplinaire incluant la sociologie de l’action publique[1], le néo-institutionnalisme[2], la politique étrangère et internationale. Dans le contexte marocain, cette dynamique de transfert de politiques publiques est particulièrement intéressante à explorer, compte tenu de l’essor des relations entre le Maroc et l’Union européenne ces dernières années.

Le policy transfer dans l’historique de la relation Maroc- UE

La relation historique entre le Maroc et l’Union européenne a été marquée par une longue série de partenariats et de programmes de coopération sur plusieurs fronts. Le point culminant de cette relation fut la signature du statut avancé en 2008, qui a consolidé les acquis des relations entre le Maroc et l’UE. Ce statut a été décrit comme une feuille de route pour ce que le Royaume devra entreprendre dans les années à venir sur le plan économique, institutionnel et même juridique, afin de s’inscrire dans une logique de rapprochement et de convergence réglementaire avec les normes européennes.

La lecture du statut avancé nous renvoie systématiquement au concept de transfert des politiques publiques comme cadre théorique de l’accompagnement européen fournit au Maroc dans les divers domaines prévus par le document conjointement conclu en 2008. Il s’agit ainsi d’un transfert d’expertise européenne vers le Maroc visant l’appui à la modernisation et l’assistance technique. L’UE est accoutumée à cette démarche notamment vis-à-vis des pays membres de l’union mais aussi des pays bénéficiaires de sa politique européenne de voisinage. Le Maroc n’étant pas dans une position de candidature d’adhésion à l’union européenne, il garde la liberté du choix des dispositions européennes dont il souhaite se rapprocher.  Dans une perspective marocaine, nous estimons que le statut avancé est porteur d’une dynamique de transfert de politiques publiques et ce à travers plusieurs instruments (accords, partenariats, jumelages institutionnels…).  C’est dans le cadre de la politique européenne de voisinage dont bénéficie le Maroc, qu’a été lancé le tout premier projet de jumelage institutionnel initié en 2015 dans le cadre d’une coopération agricole (Aquaculture) pour une durée de 6 mois, et qui s’en est suivi en 2017 par un jumelage institutionnel d’une durée de 24 mois (jusqu’à novembre 2019) portant le nom de « Appui pour la réforme institutionnelle et le renforcement des capacités de l’Institut Supérieur de la Magistrature ».  Dans cette perspective d’appui au renforcement des politiques administratives dans le cadre de la décentralisation, l’UE fait le choix de l’utilisation du jumelage institutionnel comme instrument principal du transfert, ouvrant l’accès aux compétences européennes. L’objectif d’un tel instrument est de permettre à une institution ou une administration marocaine de se rapprocher dans le cadre du pilotage d’un programme; des normes, législations et standards européens en choisissant une entité européenne équivalente qui l’accompagne dans la réalisation de ce programme. A cet égard, deux projets de jumelage entre régions euro-marocaines ont eu lieu avec la wilaya de l’Oriental et l’Agence de l’Oriental accompagnés par la région espagnole de Galice et l’Agence andalouse de coopération internationale  (Martin  I, Santonja P., 2009). Toutefois, le Maroc ne se limite pas à être un bénéficiaire du transfert des politiques publiques ; il cherche également à exercer une projection sur ses voisins africains grâce à cette stratégie.

Le policy transfer comme outil de la coopération marocaine avec l’Afrique:

Sur ces dernières années et avec la nouvelle stratégie africaine initiée par sa majesté le roi Mohammed VI, le Maroc se retrouve de l’autre côté du transfert des politiques publiques et devient exportateur plutôt qu’importateur d’expertise. Les acteurs institutionnels marocains ont fini par développer eux-mêmes une expertise dans leurs domaines respectifs, une expertise développée dans le contexte marocain et qui suit le système de valeurs des acteurs marocains. Un mélange d’idées d’une part empruntées aux experts européens ayant transmis leurs connaissances dans le cadre des jumelages cités plus tôt, et de l’autre part d’idées et de savoir-faire conçu au sein des institutions marocaines et qui constituent aujourd’hui des modèles de gouvernance et de gestion pouvant être transplantés dans d’autres contextes notamment africains, nous pouvons alors déjà constater la projection de ce savoir-faire marocain au-delà de ses frontières méridionales. Cette dynamique s’inscrit pleinement dans la coopération sud-sud, à travers une logique de circulation des connaissances entre pays africains, et ce pour la création d’une mutualisation régionale et un alignement du continent sur les mêmes standards. Le Maroc interprète cette opération de transfert à travers un mot récurrent dans sa communication autour des partenariats et accords conclus avec ses partenaires africains, et qui est celui du “partage” de connaissances et des bonnes pratiques, en témoigne les derniers accords bilatéraux (janvier 2023 à Agadir) signés avec quelques pays africains[3] pour le partage des bonnes pratiques de l’expérience marocaine dans le secteur halieutique.

Cette stratégie de partage des connaissances avec les autres pays africains revêt en réalité une autre manière de pratiquer le Policy Transfer, tout en utilisant ce processus comme un moyen pour étendre l’influence marocaine en Afrique, dans une démarche de diplomatie proactive porteuse de véritables avantages pour l’ensemble du continent.

[1]La sociologie de l’action publique est l’étude des processus d’élaboration, de mise en œuvre et d’évaluation des politiques publiques. Elle se concentre sur l’analyse des acteurs, des institutions et des processus qui influencent les décisions prises par les gouvernements et les organisations publiques, ainsi que sur les effets sociaux de ces décisions.

[2] Le néo-institutionnalisme est un courant de pensée qui insiste sur l’importance des institutions pour comprendre le comportement des acteurs. Il s’intéresse aux règles, normes et pratiques qui encadrent les comportements individuels et collectifs, ainsi qu’à leur évolution. Le néo-institutionnalisme cherche à expliquer comment les institutions influencent les choix des acteurs et comment celles-ci sont façonnées par les intérêts et les rapports de pouvoir entre ces acteurs.

[3]Accords signés avec : Le Ghana, Le Cap Vert, La Côte d’Ivoire, le Bénin et le Libéria. 

Ismail PALAMINO