L’Egypte est le plus grand exportateur africain de pétrole en dehors des pays de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) en plus d’être le plus grand consommateur d’énergie du continent. Avec une démographie grandissante, 33% du PIB provient de l’industrie – dont la majeure partie est basée sur des secteurs énergivores à l’instar de l’agroalimentaire, du textile et du ciment – et 94% du mix énergétique provenant des combustibles fossiles, l’Égypte a été récemment obligée d’augmenter ses importations en énergie pour subvenir aux besoins internes du pays. Toutefois, au cours des dernières années, il y a eu plusieurs découvertes de pétrole et de gaz naturel, tant onshore qu’offshore, qui ont généré un excès d’optimisme. L’une des découvertes les plus importantes est celle du gisement Zohr en Méditerranée, estimé à 30 tcf. En plus de Zohr, le pays peut compter sur les découvertes d’Alexandrie du Nord et d’Atoll. L’industrie pétrolière et gazière représente aujourd’hui 16% du PIB de l’Égypte et 54% de ses investissements directs étrangers (IDE). Néanmoins, pour des raisons à la fois économiques, sociales et politiques, il y a une réelle volonté égyptienne de limiter sa dépendance aux énergie fossiles en développant une filiale renouvelable pour la réussite de laquelle le pays possède tous les atouts.
Nul ne pourrait nier l’importance qu’a l’énergie dans les économies Proche et Moyen-orientales et le poids qu’elle apporte aux différents pays en tant qu’acteurs diplomatiques régionaux et mondiaux. L’Egypte a depuis très longtemps été l’acteur caché des marchés gazier et pétrolier de la région. Rarement l’on aurait entendu parler d’un accord mentionnant l’Egypte comme fournisseur. Pourtant, lors de la présidence de Housni Moubarak, l’Egypte était l’un des premiers exportateurs de gaz naturel vers Israël. Aujourd’hui, la tendance s’inverse et voilà qu’Israël, devient fournisseur principal d’énergie pour le pays du delta du Nil. Cette situation de dépendance énergétique met l’Egypte en position de faiblisse à court terme non seulement sur le point de vue économique, mais aussi sociétal et surtout à échelle diplomatique. Le pays se retrouve en décroissement de puissance ponctuel dans divers dossiers épineux dont la paix israélo-palestinienne, le nucléaire iranien et la situation en Syrie.
Gaz égyptien : de l’euphorie de Zohr à la “déception” Dolphinus
En juin 2005, et après avoir rencontré le président Hosni Moubarak, le ministre israélien de l’infrastructure Benjamin Ben-Eliezer signait avec le ministre égyptien du pétrole Sameh Fahmi un accord historique. L’Egypte s’engageait à fournir son gaz naturel à l’état hébreux pendant 15 années à raison de 60 bcf par an à travers un pipeline reliant Al Arish à Ashkelon. Au-delà des 2,5 milliards de dollars, le contrat garantissait un accroissement de la puissance égyptienne à échelle régionale, voire globale, et soulignait que la paix entre les deux états est forte. Voici que, presque treize années plus tard, le vent change… en apparence.
L’avènement du Printemps Arabe et la chute de Moubarak en 2011 a modifié le panorama sociétal, politique et économique de l’Egypte. Ce qui engendre une perte de confiance chez les investisseurs étrangers, jusque-là bien confortables avec un gouvernement ami et relativement stable, et dérègle l’approvisionnement en énergie pendant une période importante. Durant cette période, l’acheminement vers Israël et la Jordanie à travers le canal de Suez a dû être stoppé en raison des fréquentes attaques perpétrées par des insurgés. À cela, il faut rajouter la pénurie de gaz pour alimenter l’industrie, les défauts du réseau électrique local et le recours au pétrole, cher, pour pallier au manque de fuel. Cette conjoncture pousse le gouvernement du Maréchal Sissi à forcer le redémarrage à partir de 2015. Le gouvernement central décide d’augmenter le prix qu’il est prêt à payer pour le gaz extrait en eaux profondes, réduit les subventions accordées aux consommateurs et commence à importer du gaz naturel liquide à travers des terminaux flottants pour alimenter des centrales électriques mises en service pour éviter les coupures de courant.
Avec l’exploitation des champs de Taurus et Libra par British Petroleum (BP) – 8 mois en avance par rapport au planning – et la quadruplication des volumes extraits sur le site de Noroos, au Delta du Nil, par l’italien Eni, le gouvernement s’enflamme et cherche à diminuer les importations afin de réduire drastiquement ses dépenses en devises étrangères et d’alléger les pressions sur la balance des paiements. L’optimisme exacerbé ne fait qu’augmenter avec l’apparition d’un nouveau gisement : Zohr. Grâce à cette découverte, l’Egypte prévoit non seulement atteindre l’autosuffisance énergétique en 2019 mais aussi retrouver sa condition de puissance régionale exportatrice de gaz naturel, un statut qu’elle a perdu en 2009. En effet, l’Egypte est passé du statut des dix premiers exportateurs avant 2009 au rang de 8e importateur mondial de gaz naturel en 2013 et 2014. Toutefois, il semble que cet objectif ne sera pas réalisé dans un futur proche.
L’euphorie de certains égyptiens a subitement changé suite à l’accord signé il y a quelques jours entre le géant israélien Delek, son associé américain Noble Energy et l’entreprise égyptienne Dolphinus. Mais quelles sont les réelles retombées de ce contrat polémique ?
L’Egypte prend de l’élan pour devenir un hub régional de l’énergie
Afin d’éviter tout mécontentement populaire, le gouvernement communique que le deal implique exclusivement des institutions privées. Or, une analyse minutieuse des répercussions dudit accord permet de voir très clairement que le grand gagnant est l’Etat égyptien.
Avec l’accord entre Delek et Dolphinus, l’Egypte devait faire des revenus importants. Cela lui permettra également de redémarrer les usines de liquéfaction de gaz qui bénéficieront à leur tour aux investisseurs égyptiens et attireront davantage d’IDE dans ce domaine. Le pays dispose déjà de l’infrastructure nécessaire pour progresser dans sa mise en œuvre. Un pipeline existe déjà entre l’Egypte et Israël. Aussi, l’accord n’aurait pas été possible sans la ratification par le parlement en juillet 2017 d’une loi sur la création d’une autorité de régulation du gaz. La loi a été approuvée par le président Sissi un mois plus tard.
D’autre part, depuis son accès au pouvoir, le Président Abdelfattah Al Sissi a ouvertement exprimé sa volonté de faire de l’Egypte un hub régional de l’énergie, notamment à travers le contrôle du marché du gaz, même si la tâche s’annonçait pharaonique. En effet, les experts estiment que les réserves de gaz de la région (Turquie, Grèce, Syrie, Liban, Israël, Palestine, Egypte et Chypre) s’élèvent à plus de 370 bcf, la deuxième plus grande au monde.
L’Égypte veut également devenir notamment un «hub gazier». Ce schéma permettra au pays d’importer, de produire, de consommer et d’exporter du gaz et d’en tirer de la valeur entre plusieurs fournisseurs et clients en fonction du meilleur prix. L’objectif du hub est également stratégique. L’acheminement du gaz de la Méditerranée Orientale vers le marché global a toujours été délicat en raison de frontières conflictuelles et de deux obstacles diplomatiques majeurs : la non-reconnaissance de la République de Chypre par la Turquie et l’absence de relations entre Israël et le Liban.
Les marchés locaux à Chypre, en Israël, au Liban et en Jordanie sont relativement petits, ce qui signifie que les grands champs doivent approvisionner la Turquie, l’Égypte ou des consommateurs plus éloignés. Les découvertes à ce jour, quoique importantes, sont en eaux profondes et les faibles prix de l’essence au cours des dernières années ont rendu la construction de pipelines ou de nouvelles usines de liquéfaction économiquement marginales. Ainsi, un projet d’exportation viable nécessite l’agrégation du gaz de plusieurs pays et entreprises rivaux, en utilisant un mélange d’infrastructures préexistantes et nouvelles, d’où son retard dans l’exécution et sa fragilité.
L’Égypte doit couvrir la demande future. Le déclin rapide de sa production sous-jacente et l’explosion de la demande de ses nouvelles centrales signifient que sans nouveaux développements, il devra faire face au risque de redevenir un importateur dès 2021. Il devra gérer sa demande de gaz en se tournant vers l’énergie solaire et éolienne.
L’engagement sur la voie du renouvelable : un choix stratégique urgent
L’Egypte possède une abondance de terres, un temps ensoleillé et des vitesses de vent élevées, ce qui en fait un lieu privilégié pour les sources d’énergies renouvelables (EnR). Le pays a l’intention de produire 20% de son électricité à partir de sources renouvelables d’ici 2022, avec 12% en énergie éolienne, 5,8% hydroélectrique et 2,2% solaire. Le plan d’énergie solaire vise à installer 3,5 GW d’ici 2027, dont 2,8 GW de PV (photovoltaïque) et 700 MW de CSP (Concentrated Solar Power). La stratégie prévoit également de générer 7,2 GW (12% de l’électricité produite) à partir de 2022. Le plan vise une participation significative du secteur privé avec un apport de 67% des PPP. Au cours des trois à cinq prochaines années, le ministère de l’électricité et des EnR prévoit d’ajouter 51,3 GW à la capacité installée actuelle.
L’Egypte bénéficie d’une capacité venteuse importante le long du Golfe de Suez avec une vitesse moyenne de 10,5 m/s. Depuis 2001, une série de parcs éoliens à grande échelle a été établie, d’une capacité totale de 550 MW, en coopération avec l’Allemagne (KFW), le Danemark (DANIDA), l’Espagne et le Japon (JICA). Côté solaire, l’Egypte est considérée comme un pays à énorme potentiel en raison des 2 à 3 MWh/m2/an de rayonnement solaire direct. Le soleil brille 9 à 11 heures par jour du nord au sud en Egypte, avec quelques jours nuageux.
L’accord historique signé en juin dernier entre le gouvernement égyptien et la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD) – prêt de 447 millions d’euros pour le développement de 16 projets – témoigne de la réelle volonté de diversification du secteur égyptien de l’énergie. Des accords passés entre la National RenewableEnergy Association (NREA) et l’Egyptian Electricity Transport Company (EETC) d’une part, et l’implication de divers acteurs européens dont l’AFD, GIZ, KfW, DANIDA, UE ou le gouvernement espagnol en plus du Japon (JICA) permettent de présager une arrivée de la Chine dans peu de temps sur le marché égyptien. Mais surtout, cette dynamique donne un avantage considérable à l’Egypte dans sa recherche de domination du panorama énergétique de la Méditerranée orientale. Ce qui semblait être une perte de puissance avec le deal israélo-égyptien s’avère être un recentrage des pièces dans les échiquiers politique et économique d’une région toujours en quête de leaders puissants.
Badr BAKHAT